Dans une « Déclaration de principes » publiée en avril et adoptée à la quasi-unanimité, après quelques modifications, par une Convention nationale le 14 juin 2008, le Parti socialiste s’est, pour la première fois dans sa longue histoire, déclaré officiellement partisan de l’économie sociale de marché. C’est un évènement dont ce blog devait évidemment marquer l’importance historique - à quelques jours du 60è anniversaire de l’instauration de cette conception en Allemagne le 20 juin 1948 - dans la vie politique et idéologique de la France et de l’Europe.
Le passage le plus significatif à cet égard, dans un document comportant 24 articles (http://www.parti-socialiste.fr), est le suivant : « Les socialistes sont partisans d’une économie sociale et écologique de marché, une économie de marché régulée par la puissance publique, ainsi que par les partenaires sociaux, qui a pour finalité la satisfaction des besoins sociaux. Le système voulu par les socialistes est une économie mixte, combinant un secteur privé dynamique, un secteur public efficace, des services publics accessibles à tous, un tiers secteur d’économie sociale et solidaire » (art.6).
Si l’option économique est clairement formulée, les principes de son application ne sont cependant pas explicités, ni sur le plan national ni sur le plan international. L’absence d’un article spécifique consacré à la nature de la régulation de l’économie ne permet pas d’avoir une vision précise de la conception défendue par le PS. Rien n’indique que celui-ci se réfère à l’organisation et à la préservation de la concurrence et de la stabilité monétaire, essentielles, notamment aux yeux des inventeurs ordolibéraux du concept d’économie sociale de marché, pour éviter la plupart des abus potentiels de la liberté économique. Il est vrai que n'apparaît nulle part non plus ni une référence à la planification ou à des mesures dirigistes ni une contestation du libre-échange international ou le recours à des mesures protectionnistes, tout aussi déterminants dans cette perspective. En outre, en dépit d’une forte dénonciation du capitalisme et en particulier du capitalisme financier à l’âge de la mondialisation (art.6), aucune proposition de réforme de la gouvernance d’entreprise ou du partage de la valeur ajoutée ni de contrôle des instruments et des marchés financiers n’est présentée. Si la déclaration soutient en divers passages la création de richesses, l’investissement ou l’innovation technologique, rien n’indique une stratégie claire des conditions générales de la croissance.
Enfin, une nouveauté marquante est l’importance accordée à l’écologie. « Conscients de l’étroite interaction des activités humaines et des écosystèmes, les socialistes inscrivent la prise en compte de la planète au même rang de leurs finalités fondamentales que la promotion du progrès et la satisfaction équitable des besoins » (art.3) « Le progrès économique et social ne peut plus être apprécié à l’aune de la seule croissance de la production marchande, mais doit l’être à l’aide d’indicateurs reflétant la qualité effective des conditions d’existence et de travail des individus » (art.4). « Les socialistes défendent un nouveau modèle de développement, à l’échelle de la planète…(et) se préoccupent non seulement de la quantité des richesses produites et de leur distribution, mais aussi de la manière de les produire et du contenu de la production » (art.7). Ces affirmations pourraient paraître banales, dans la mesure où toutes les forces politiques sont à présent fortement sensibilisées aux exigences écologiques, si les socialistes n’en faisaient pas apparemment, à l’instar des écologistes traditionnels, l’un des éléments essentiels de leur vision historique et de leur projet sociétal.
Il faut reconnaître que cette déclaration, la cinquième depuis la création du parti en 1905, n’a pas fait sensation. Les médias en ont bien entendu rendu compte mais n’en ont guère parlé, les commentaires politiques ont été rares et même les adversaires du PS n’en ont pas fait objet de polémiques. Tout s’est passé comme si la société française n’était nullement surprise et prenait simplement acte d’un fait accompli. De fait, cette déclaration est l’aboutissement d’une longue évolution qui a progressivement transformé un parti longtemps révolutionnaire et marxiste en un parti réformiste et, même si ce qualificatif n’est toujours pas utilisé, social-démocrate. Elle est aussi la simple traduction d’une pratique politique et ne fait dans une large mesure qu’officialiser une action gouvernementale datant déjà d’un quart de siècle, depuis le tournant de 1983 sous la présidence et un gouvernement socialistes. On peut donc comprendre qu’elle n’ait pas fait à proprement parler évènement et que, contrairement à ce qui s’était passé dans les mêmes circonstances en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie ou en Espagne, elle ne soit pas apparue comme une véritable rupture idéologique mais simplement comme le terme inéluctable d’interminables tergiversations, dues essentiellement à l’existence de blocages intellectuels et de mots tabous. Il est vrai aussi que cette énumération de principes très généraux est par moments assez creuse et parfois ambiguë, sans doute en raison de difficiles compromis entre toutes les tendances du parti, et surtout qu’elle n’est pas suffisamment explicite sur les implications de ces principes et en particulier sur le traitement des contradictions possibles entre développement économique et protection sociale ou progrès écologique ou entre mondialisation économique et financière et préservation des intérêts nationaux, en raison de l’absence du programme politique correspondant, qui ne devrait être élaboré qu’au Congrès du mois de novembre 2008.
Mais, en minimisant ainsi la portée de l’évènement, on risquerait de sous-estimer grandement la dynamique propre des idées et même des concepts dans l’évolution idéologique des forces politiques et, par voie de conséquence, dans l’évolution politique des sociétés.
L’importance historique de la nouvelle déclaration de principes se marque d’abord dans le fait qu’elle traduit le déclin de l’influence longtemps dominante du collectivisme dans l’idéologie de la gauche française et par voie de conséquence l’influence croissante de l’individualisme et du libéralisme qui lui est intimement lié. Le développement récent du débat sur le libéralisme entre les principaux candidats au « leadership » du PS est à cet égard significatif, même s’il a aussi de toute évidence un caractère conjoncturel et tactique. Il confirme ainsi la permanente actualité de ce que l’ordolibéral allemand Wilhelm Röpke appelait « le choix fondamental des socialistes ». « Tôt ou tard, écrivait-il en 1946, chaque socialiste…devra examiner si ses réactions intimes sont libérales ou collectivistes, s’il prend vraiment au sérieux ces libertés civiques que ses ancêtres et lui-même ont revendiquées et défendues si longtemps…Pour comprendre la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les partis socialistes de tous les pays européens, nous devons nous souvenir qu’au cours du XIXe siècle, ils se sont tous nourris au sein généreux du libéralisme. Sur le plan de la doctrine, ils ne renient nullement cette origine quoique, depuis lors, de nombreux courants anti-libéraux aient imprégné le socialisme. Pendant des générations, les partis socialistes ont été en mesure de combiner la doctrine des droits de l’homme avec les théories économiques du socialisme qui, si on les appliquait rigoureusement, représenteraient la plus flagrante négation des libertés politiques et spirituelles. Maintenant que, dans la plupart des pays européens, les socialistes sont sollicités de partager les responsabilités du pouvoir, ils ne peuvent plus se dérober et devront témoigner de leur qualité de socialistes libéraux ou au contraire de collectivistes totalitaires. L’heure a désormais sonné pour que, dans le camp du socialisme également, une erreur intenable soit corrigée et que cesse l’équivoque jeu de bascule entre le libéralisme politique et le collectivisme économique ».
L’abandon, dans un tel document de principe, de toute référence à la révolution, à la lutte des classes et à l’action collective, à la socialisation des moyens de production, à la planification et, au contraire, l’adhésion au réformisme, au partenariat social et à l’individualisation des actions publiques, à une économie mixte et, bien sûr, à l’économie de marché sont à cet égard tout à fait significatifs. Ils le sont d’autant plus qu’ils interviennent à un moment où l’économie et la société sont de nouveau plongées dans des crises multiples et dangereuses, où les partis socialistes les plus réformistes connaissent de grands déboires électoraux, notamment en Allemagne et en Grande-Bretagne, et où se constitue ou se reconstitue, en France comme ailleurs, un fort courant politique anti-capitaliste et un ressentiment général contre les marchés mondiaux et les abus des grandes sociétés internationales et alors que les Français demeurent, selon toutes les enquêtes, plus sceptiques que jamais à l’égard de l’économie de marché. Dans une telle conjoncture, la déclaration du PS ne constitue de toute évidence pas simplement un « aggiornamento » de l’idéologie par rapport à la réalité et à la pratique politiques, mais la démonstration de la profondeur de la mue idéologique du parti et simultanément un engagement pour sa doctrine et son action futures, dont la portée pourrait être importante tant au plan national qu’au niveau européen.
Au plan national, le ralliement du PS à l’économie de marché établit pour la première fois dans l’histoire, depuis le XIXe siècle, un consensus entre les deux principales formations politiques de gouvernement quant à la nature du système économique et peut-être même de la politique économique correspondante. Il est intéressant de noter à cet égard que, deux jours avant la Convention nationale du PS du 14 juin qui a ratifié cette évolution, une Convention sociale de l’UMP, consacrée à la justice sociale (http://www.u-m-p.org ), a réaffirmé l’attachement de ce parti au « libéralisme social », concept qui avait été quelque peu marginalisé depuis quelques années sous l’influence de conceptions plus radicales du libéralisme économique. Cette convergence ne peut qu’être positive. L’exemple de l’Allemagne et de bien d’autres pays a depuis longtemps démontré qu’une nation tire toujours grand profit de l’existence d’un accord des principales forces politiques sur les grands principes de l’ordre économique, qui permet d’économiser des querelles purement idéologiques et assure autant que possible la continuité et la cohérence de l’action gouvernementale.
Au niveau européen, l’évolution de la conception du PS met fin à une surprenante « exception française ». En effet, le PS était jusqu’à présent en Europe le seul grand parti de tendance socialiste ou social-démocrate ayant exercé des responsabilités gouvernementales à ne pas s’être rallié officiellement à l’économie de marché, depuis le mouvement engagé il y a près de cinquante ans par le SPD allemand au fameux Congrès de Bad Godesberg de 1959 et poursuivi progressivement par tous les autres partis européens de cette tendance et même par la plupart des partis communistes depuis la chute du Mur il y a près de vingt ans. Même si la pratique gouvernementale du PS avait déjà démontré depuis longtemps une adhésion de fait, le maintien de principes opposés maintenait une ambigüité et nuisait à la crédibilité et à l’influence de ce parti au sein de l’Internationale socialiste et du Parlement européen. Il est, là aussi, intéressant de constater qu’il y a beaucoup de points communs entre la « Déclaration de principes » du Parti socialiste et le nouveau « Programme de principe » adopté, dans la perspective des élections de 2009, par le SPD à Hambourg en octobre 2007 (http://www.spd.de), une convergence qui se traduit notamment, dans le cas du SPD, dans la reprise du concept de « socialisme démocratique » plutôt que de « démocratie sociale » ou dans l’adoption de la formule bien connue de Lionel Jospin : « oui à l’économie de marché, non à la société de marché ». L’évolution vers une conception plus « sociale » de l’économie de marché se manifeste d’ailleurs également dans le troisième « Programme de principe » de la CDU, adopté au Congrès de Hanovre en décembre 2007 (http://www.cdu.de), après une période de réformes du SPD et de la CDU d’inspiration plus purement libérale face aux charges de la réunification et aux contraintes de la globalisation.
Si l’on considère l’ensemble de ces évolutions politiques en France et en Allemagne, qui se constatent d’ailleurs aussi dans d’autres pays européens ou même dans les autres continents et dans les organisations internationales, il est clair qu’il y a actuellement, après une période d’engouement d’une vingtaine d’années en faveur du modèle anglo-saxon d’économie purement capitaliste de marché, un certain retour en force du modèle rhénan d’économie sociale de marché. La répétition et l’amplification de crises économiques diverses (immobilière, financière, énergétique, alimentaire), les désordres monétaires internationaux, le retour en force de l’inflation, les drames sociaux et les scandales moraux, les perturbations environnementales démontrent à loisir que le laisser-faire et un capitalisme sauvage peuvent engendrer pendant un certain temps une croissance explosive mais aboutissent inévitablement à une situation de plus en plus déséquilibrée et malsaine à tous points de vue et en fin de compte à une crise générale. Seule une économie de marché bien organisée et bien régulée est susceptible de garantir une évolution économique et sociale durablement satisfaisante, en particulier au stade actuel de la mondialisation.
Plus je regarde l'état du PS, plus je me convainc que son "salut" viendra de l’extérieur: des think tank comme Terra Nova, des fondations comme la Republique des idées, des propositions "alternatives" comme celle des Gracques. Les instances politiques sont trop à la recherche d'un consensus pour produire une pensée moderne et adaptée aux défis actuels.
“Gramsci, Pascal et le Parti Socialiste”
A lire sur:
http://abenarous.wordpress.com/2008/09/23/gramsci-pascal-et-le-parti-socialiste/
cordialement,
A.B.
Rédigé par : A.B. | 23 septembre 2008 à 16:51
Il ne faut quand même pas perdre de vue que l'aile gauche du PS, elle, ne s'est ralliée à rien du tout et que son autisme ne s'améliore pas.
En témoigne par exemple l'ouvrage délirant de Liêm Hoang-Ngoc, proche d'Henri Emmanuelli et Benoît Hamon, "Sarkonomics", dont on pourra trouver une critique à l'adresse suivante :
http://citoyen.etienne.free.fr/Scaramouche/Articles/I38.php
Rédigé par : Citoyen Etienne | 15 décembre 2008 à 17:55
Désolé de vous contredire. Le jour où le PS s'est rallié à l'économie de marché, il a perdu toute raison d'être. Objectivement, il s'est retrouvé sur l'aile gauche de la droite, et non plus sur l'aile droite de la gauche. Ce système économique, auquel la plupart des gouvernements apportent leur caution, n'est pas viable à long terme. Il met en avant l'argent comme but, et non comme moyen. La notion de profit est extrêmement perverse, elle s'oppose aux piliers de la République, dont le principal, sur lequel s'appuient les autres, est l'égalité. Nos économistes, dans leur grande majorité, ont été induits à ne penser que selon des critères de croissance, de "plus" et non de "mieux". Ces deux termes, la plupart du temps, s'excluent mutuellement. Le marketing, le managing, le merchandising et autres termes bien anglo-saxons engouffrent le monde dans une spirale où l'exclusion est le pendant désespéré d'une pseudo-réussite de quelques-uns.
Exploitation de l'humain par l'humain, communautarisme, xénophobie, ostracisme, faim, mortalité surtout infantile, voilà tout l'inacceptable de ce système qui ne peut être que réprouvé. Il existe d'autres modèles, mais ils font appel à un sens de la responsabilité collective, d'un partage équitable et raisonnable des richesses, qui sont bien loin du règne de l'argent-roi.
Il y a un long chemin à parcourir, difficile et chargé d'embûches, entre votre modèle et ceux qui sont acceptables pour l'avenir de la planète tout entière, minéraux, végétaux, animaux, et humains.
Rédigé par : babelouest | 15 août 2009 à 12:50
Babelouest, désolé, à mon tour, de vous contredire.
Vous chargez l’économie de marché de tous les péchés du monde : exploitation, communautarisme, xénophobie, ostracisme, faim, mortalité infantile. Mais tous ces fléaux de l’humanité, qui existent depuis la nuit des temps, se retrouvent aujourd’hui surtout dans les pays sous-développés ou à faible croissance et sont au contraire fortement atténués dans les pays développés et à haut niveau de vie grâce précisément à l’adoption déjà ancienne d’économies de marché efficientes.
Vous affirmez aussi que l’économie de marché met en avant l’argent comme but et non comme moyen. C’est une vision très simplificatrice de la réalité. Fondamentalement, l’économie de marché est une économie d’échanges au moyen de l’argent. Il est vrai qu’elle requiert aussi des entreprises de réaliser du profit, plutôt que des pertes, à la fois comme indicateur de leur utilité sociale (satisfaction de besoins) et de leur efficacité (produit supérieur au coût), comme principale source de financement de leur pérennité et de leur développement et enfin comme moyen de rétribution du capital qui leur a été confié par les épargnants. Par contre, le comportement des individus face à l’argent perçu en échange de leur travail ou de leur capital ne relève pas du système, mais de leur propre choix : si certains hommes vivent pour gagner de l’argent, la plupart, vous le savez bien, s’efforcent de gagner de l’argent pour vivre le mieux possible et souvent même pour aider d’autres à mieux vivre grâce à leurs dons. En outre, à côté de cette solidarité privée, le secteur public et le secteur social, qui prélèvent dans les économies développées entre un tiers et la moitié du revenu national par les impôts et les cotisations, réalisent une vaste redistribution parfois même excessive des richesses, en fonction non des ressources mais des besoins. L’économie de marché et en particulier l’économie sociale de marché n’exclut donc pas du tout la solidarité et le partage que vous souhaitez, son efficacité productive en est même une condition fondamentale.
En se ralliant à l’économie de marché, le PS n’a donc pas fait erreur, à mon avis, mais simplement tenu compte des réalités. Le modèle d’économie de marché que vous contestez implicitement et à juste titre est celui d’une économie de marché ultralibérale, caractérisée par un capitalisme sauvage et l’absence de toute régulation économique, sociale et écologique. Mais ce n’est évidemment pas ce modèle qu’a retenu le PS, qui se réfère explicitement à une « économie sociale et écologique de marché » avec, si vous relisez le texte, toutes les valeurs que vous prônez vous-même, y compris l’égalité, de sorte que vos réserves paraissent assez peu compréhensibles. Vous affirmez qu’il existe d’autres modèles plus équitables et plus raisonnables, mais on ne voit pas lesquels. Où que l’on porte son regard dans le vaste monde, il n’y a pas d’alternative en vue, car je suppose que vous ne songez pas aux modèles cubain ou vénézuélien ou encore nord-coréen ou aux utopies d'extrême-gauche dont parle Citoyen Etienne. Est-ce simplement la proximité avec les conceptions de la droite qui vous gène ? Mais n’est-il pas souhaitable, même en politique, de substituer à des oppositions globales souvent factices des discussions sérieuses d’aménagements concrets ? Les sujets de désaccord entre la gauche et la droite ne manqueront pas, même s’il y a accord de principe sur la nature du système. Et il me semble que la crise offre, dans ce domaine, des opportunités exceptionnelles à un PS imaginatif et créatif ou peut-être plutôt aux think tank que signale A.B.
Rédigé par : FB | 09 septembre 2009 à 17:09
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Rédigé par : pass drug testing | 04 novembre 2009 à 08:15
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Rédigé par : male enhancements | 22 novembre 2013 à 05:00